09 août 2015

De l'esprit des lettres

Nous vous présentons ci-dessous un reportage sur l'agence postale du porte-hélicoptères Jeanne d'Arc paru dans l'hebdomadaire de la marine COLS BLEUS n° 2928 du 25 novembre 2009.


Six mètres carrés à tous casser. Dix-huit sacs postaux. Et des centaines de lettres à distribuer...




Arrivée d'escale. Grosse effervescence autour des bureaux du commissariat en charge des finances et de la logistique du bord. « C'est la même chose à chaque retour à terre ! », philosophe Xavier, le commissaire en chef.

Contiguë à son bureau, l'agence postale. Six mètres carrés consacrés à l'envoi et la réception du courrier papier de la Jeanne. Cet après-midi, l'agence est «pleine comme un œuf» d'après le maître des séants. Des sacs postaux montent jusqu'au plafond.

Dix-huit sacs numérotés de courrier viennent, en effet, d'arriver en provenance de France. Déambulant dans ce capharnaüm, l'agent postal et son adjoint tentent tant bien que mal de se frayer un passage. 

Première étape pour eux, vérifier la totalité des sacs, le poids indiqué sur l'étiquette et le contenu. Le travail consistera ensuite à trier lettres et colis par catégorie de personnel. 

Même avec l'arrivée à bord de l'Internet et des messageries électroniques à la fin des années 1990, le courrier papier constitue toujours un média d'expression sur la Jeanne d'Arc. « Le marin aime écrire. Et surtout, il aime recevoir du courrier » précise malicieusement Dominique avant de distiller une anecdote : « Certains écrivent jusqu'à une lettre par jour ! ».

Quant à l'acheminement du courrier à bord d'un porte-hélicoptères, il répond à des règles strictes. Car, il s'agit de faciliter la distribution du courrier de 650 marins embarqués. Conseils de l'agent postal : « L'adresse doit être la plus lisible et la plus précise possible avec nom de l'intéressé, numéro de poste pour les officiers-élèves et mention du carré d'appartenance. Sans ça, distribution retardée assurée... »




L'affaire de Rio

Lors de l'avant-dernière campagne, des tonnes de courrier ont ainsi été acheminées pendant les cinq mois de déploiement Jeanne d'Arc. «480 sacs de courriers exactement» précise Dominique en compulsant frénétiquement ses archives. «Soient 5 tonnes avec une pointe de 116 sacs à l'escale de Mayotte». Un anachronisme consécutif à un souci consécutif à l'escale brésilienne.

Un an plus tard, des marins pestent encore à bord, attendant une lettre ou un colis d'un proche. L'agent postal a néanmoins trouvé des explications à cet incident qu'il a baptisé « l'affaire de Rio ». Explications de textes : « C'était juste après le carnaval, les postiers brésiliens ont dû sûrement bien fêter çà au point d'oublier d'acheminer notre courrier ! 

Résultat, le temps qu'ils s'en aperçoivent, on était déjà loin en mer. Les sacs ont alors été expédiés en France pour n'être délivré finalement que 2 mois plus tard après deux autres délivrances en escale infructueuses. Je ne sais pas combien de milliers de kilomètres ces sacs postaux ont parcouru ! ». « L'affaire de Rio» fait encore grincer des dents Dominique. Des histoires (postales) de ce genre ont émaillé la longue carrière de la Jeanne.

L'agent postal est convaincu quand lui revient en tête une autre anecdote : « L'affaire de New-York ». « Des sacs de colis mal conditionnés au départ de France. Et une partie du courrier évaporée. Quatre sacs n'ont jamais pu être récupérés ». Les sacs postaux de Noël 2008 sont en revanche arrivés à bon port et en nombre. « Un gros arrivage dû aux fêtes fin d'année et aux cadeaux qu'envoient les familles », précise doctement l'agent postal. « Avec des colis parfois très odorants » complète son acolyte amusé par tant d'incongruité.




30 000 timbres à 0.56 euros

A l'agence postale, le climat devient tropical. Dominique et son confrère ne ménagent pas leur peine. Objectif pour le binôme : achever le plus tôt possible dans la soirée le tri et la distribution des 300 kilos de courriers et de colis reçus. « Demain, il y aura aussi la vente des timbres à assurer... » ajoutent, en chœur, les postiers. Plus de 30 000 timbres à 0.56 euros sont en effet vendus à chaque campagne de la Jeanne. Les deux compères doivent également satisfaire les adeptes de marcophilie.

Explications éclairées de Dominique : « La marcophilie et la Jeanne, c'est une longue histoire. A chaque escale, un tampon est édité. Aussi, les collectionneurs, civils pour la plupart, sont avides de ces tampons très recherchés ». Outil de rayonnement par excellence, les marques et autres oriflammes de la Jeanne risque de se négocier à prix d'or à la disparition du navire-école.

Quant à Dominique et ses prédécesseurs, ces « agents postaux », « postiers » ou « vaguemestres » (l'appellation d'antan), ils ont toujours constitués des figures centrales du village Jeanne d'Arc. « Le postier, c'est à la fois le père Noël quand il a du courrier pour vous et un ami vachard quand les nouvelles sont mauvaises ou que le courrier n'arrive pas », confie Dominique dans un large sourire. Des états d'âme de ses « préposés », l'agent postal doit donc faire avec.

Aussi ne retient-il peut-être que les moments heureux. Ceux quand le marin éloigné de ses proches reçoit des photos de naissances ou d'anniversaire. « C'est forcément attendrissant. On sent vraiment l'utilité de notre métier. Car, même avec l'internet, rien ne remplace une photo argentique et le papier. C'est toujours plus fort émotionnellement ! ».

Fin de la discussion car Dominique et son acolyte ont fort à faire. Le temps presse. Déboulent cinq matelots pressés de recevoir leur courrier. « Repassez ce soir à 23 heures, le temps que notre tri soit fini » prévient sèchement Dominique. Moues désapprobatrices mais compréhensives des matelots. En escale, les agents postaux sont décidément attendus comme des messies...




Texte / Stéphane DUGAST
Photos / Christophe GERAL

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